lundi 29 octobre 2012

Les sorcières du nabi ésotérique


Une peinture de Paul Ranson annonçant une prochaine exposition au musée d'Orsay en 2013, vient de me fournir opportunément un thème pour mon billet d'Halloween.


La Sorcière au chat noir
Paul Ranson - 1893
Musée d'Orsay (notice)


C'est par l'antique fête de Samain (d'où est issue celle d'Halloween) que les druides marquaient le début de l'année celtique s'ouvrant en même temps que la "saison sombre". Le calendrier celtique ne comprenait que deux saisons, la saison claire qui commençait le 1er Mai et la saison sombre qui démarrait le 1er Novembre.

Parce qu'elle n'appartient ni à l'année qui se termine, ni à celle qui commence, la nuit de Samain est le moment privilégié permettant aux humains de communiquer avec le Sid, cet autre monde semblable à un paradis terrestre dont les occupants mènent une vie de joies et de délices dans un éternel âge d'or, sans aucune contrainte de temps ni d'espace.


Sorcières aux saturnales
Paul Ranson - 1891
(collection privée)

Dans la Rome antique, les Saturnales étaient l'équivalent des fêtes celtiques de Samain. Au fil du temps, Saturne fut assimilé au dieu cornu des religions païennes et de là, au sabbat des sorcières.

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Dès ses premiers tableaux, Paul Ranson montra un certain goût pour l'ésotérisme.

Vanité aux souris
Paul Ranson - 1885
Musée des Beaux-Arts de Limoges
Les deux objets figurant au premier plan de la vanité ci-dessus m'ont beaucoup intriguée.
J'ai trouvé ce dont il s'agit pour celui de droite.
Mais pas pour celui de gauche,
s'agirait-il d'un encrier ?...

Et vous, avez-vous reconnu celui de droite ?
(La solution pour l'objet de droite sera donnée ultérieurement, preuves à l'appui)



Avec Maurice Denis (le théoricien du groupe) et son ami Paul Sérusier, Paul Ranson fut l'un des membres fondateurs du cénacle des Nabis. Le nom de ce petit groupe de peintres provient d'un terme hébreux signifiant prophète.

Les Nabis se voulaient (et furent) les prophètes d'une nouvelle manière de peindre. Paul Ranson fit partie de ceux qui annoncèrent l'Art Nouveau.

Portrait de Paul Ranson en tenue nabique
Paul Sérusier - 1890
Musée d'Orsay (lire la notice)

Les Nabis se retrouvaient régulièrement dans l’atelier de Paul Ranson, qu'ils surnommaient le temple. Lors de ces réunions plus ou moins occultes, ils étaient accueillis par France Rousseau-Ranson, cousine et épouse de Paul, dite "La Lumière du Temple" en hommage à son intelligence.

Madame Ranson secondait aussi son époux dans ses travaux, non seulement en posant pour lui, mais également en mettant la main à la pâte l'aiguille pour la réalisation de tapisseries, telle que Femmes en blanc.

Madame Ranson au chat
Maurice Denis - 1892
Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye (lire la notice)


Le talent de France Ranson ne se limitait pas aux travaux d'aiguilles. C'est elle qui assura durant plus de vingt ans la continuation de l'Académie Ranson, l'école d'Art fondée par Paul en 1908, juste avant qu'il ne disparaisse prématurément l'année suivante.

C'est elle aussi que l'on retrouve sur un grand nombre de peintures de son époux, la femme debout  accoudée à une balustrade ci-dessous, par exemple.

Femme debout contre une balustrade avec un caniche
Paul Ranson - 1895
Metropolitan Museum of Art, New York (notice)


L'attrait initial de Ranson pour l'ésotérisme évolua rapidement vers l'occultisme, engendrant de nombreuses représentations de sorcières tout au long de son œuvre.

Ce thème récurant pourrait en partie s'expliquer par l'absence d'image féminine bienveillante durant son enfance, du fait que Paul Ranson avait eu le malheur de perdre sa mère peu après sa naissance.


Les Sorcières autour du Feu
Paul Ranson - 1891
Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye


La femme occupe une place centrale dans l'œuvre de Paul Ranson. Elle est souvent représentée dans des situations ou des attitudes étranges, entourée d'attributs ou de signes qui évoquent l'univers des servantes de la Déesse-Mère, les chamanes, sibylles et sorcières.


La Baigneuse bleue
Paul Ranson - 1891
Collection Alain Lesieutre

À première vue cette femme à sa toilette n'a pas l'air d'une sorcière. Cependant, en l'observant de plus près, vous remarquerez que sa posture (jambes croisées et bras également croisés, les mains tenant les pieds) n'a rien de naturelle. Ne serait-elle pas en train d'accomplir un rituel magique ?...

Il existe deux versions de la baigneuse ci-dessus. La seconde est légèrement différente, la disposition de l'éponge et du savon est inversée et une frise occupe le bas du tableau. Elle a pour titre Lustral et elle se trouve au musée d'Orsay (voir le tableau et lire le commentaire).


Sorcière dans son cercle
Paul Ranson - 1892
Aquarelle typographique (collection privée)

Chat, corbeau, serpent, coq... il ne manque que l'araignée, le crapaud, la chouette (ou le hibou) et la chauve-souris pour que toute la ménagerie attribuée aux sorcières soit présente sur cette aquarelle !


Sorcière dans son cercle
Paul Ranson - 1892
Aquarelle et gouache (collection privée)

Quelle que soit la version, la sorcière dans son cercle n'aime pas être observée !


Deux femmes à leur toilette
Paul Ranson - 1892
Tempera sur toile, Clemens-Sels-Museum

Comme La Baigneuse bleue, de prime abord ces Deux femmes à leur toilette  n'ont pas l'air d'être des sorcières. Néanmoins, le chat est un indice. Quand on y regarde bien, il semble n'être pas le seul félin dans cette image... Y en aurait-il d'autres ?

À propos du chat, j'ai bien l'impression qu'il s'agit du chat de Madame Ranson, celui qui se frotte contre ses jambes dans le tableau de Maurice Denis (voir plus haut).


La Sorcière accoudée
Paul Ranson - 1893
 Lithographie (crédit photo)

Au-dessus de La Sorcière accoudée, cette fois la chauve-souris est là.


Deux jeunes femmes devant la tête d'Orphée dans la forêt
Paul Ranson - 1894
Huile sur toile (notice de Christie's)

La nature aussi est omniprésente dans la peinture de Paul Ranson.
Jamais agressive, toujours bienveillante, elle semble figurer la mère qui lui a tant manqué.


Une Sorcière dans le Marais
Paul Ranson - 1897
Huile sur toile (collection privée)

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

Ranson a sans doute pensé au premier quatrain des Correspondances en peignant cette grande sorcière qui chemine dans une nature aux coloris enchanteurs...


*****

Sorcière à la marmite
Paul Ranson, vers 1897-1898
Huile sur carton (notice)

Le hibou et l'araignée de la Sorcière à la marmite complètent la ménagerie de la Sorcière dans son cercle (vue plus haut). Ici, la sorcière est toujours dans son cercle, mais elle ne se préoccupe plus de se savoir observée, ni des animaux qui l'entourent. Elle est absorbée dans une méditation que l'on devine accablante.

La raison de cet accablement vient sans doute des évènements familiaux intervenus dans la vie de Paul Ranson en 1897 et 1898. Après le décès de son père, qui subvenait en partie aux besoins financiers du couple, la grossesse de France est venue ajouter un nouveau sujet d'inquiétude. Paul redoutait inconsciemment que le drame de sa propre naissance se répète et qu'il perde sa femme à la naissance de son enfant. Ce qui, d'une certaine manière, est effectivement arrivé.


Nu à la carcasse
Paul Ranson, 1899
Huile sur toile (collection privée)


Après la naissance de son fils, France n'est plus disponible pour poser, ni pour réaliser des tapisseries. Elle consacre le plus clair de son temps à son enfant. Paul Ranson est amer, son fils lui a ôté sa collaboratrice et sa vie en a été bouleversée. D'autant plus qu'après le déménagement consécutif à la mort du père de Paul, la place manque dans le nouvel appartement, ce qui ne lui permet plus de recevoir ses amis comme avant.

Sorcière avec un chat
Paul Ranson, 1899
Huile sur toile (collection privée)

Dépressif, Paul quitte son foyer pour aller se ressourcer à la campagne, chez son ami, le peintre et sculpteur Georges Lacombe, qui l'accueille dans son Ermitage en Normandie. L'Ermitage de Georges se trouvant en lisière de la forêt d'Écouves, les deux amis vont peindre dans cette forêt, dont le nom signifie balai et dans laquelle les ronds de sorcière ne manquent pas.

Le contact direct avec la nature influence la peinture de Paul, désormais les femmes qu'il représente font comme lui, elles courent les bois.

Étoiles tombées
Paul Ranson, 1900
Pastel (collection privée)

Les séjours de Paul Ranson à l'Ermitage de Marthe et George Lacombe se prolongèrent jusqu'en 1905, date à laquelle Paul se décida à revenir vers sa femme et son fils.

Portrait de Paul Ranson
George Lacombe, vers 1904-1905
Huile sur toile (notice de Christie's)


L'exposition George Lacombe, qui vient de débuter, va être pour moi l'occasion d'en apprendre un peu plus sur l'amitié Ranson-Lacombe. Ce qui me permettra de compléter ce billet, ou peut-être d'en produire un nouveau...


Avant de refermer la porte du grenier, n'oubliez pas de donner votre avis sur la petite devinette à propos de la Vanité aux Souris (au début de ce billet).


Bonnes fêtes de Toussaint
Halloween ou Samain, selon vos croyances :)



© VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012

lundi 22 octobre 2012

Premier acte, planter le décor


© travail personnel, ne pas copier SVP


Telle une diva, la belle et mystérieuse dame du XIXe siècle, dont certain(e)s d'entre vous attendent impatiemment l'apparition, s'attarde encore dans les coulisses de ce grenier. À la fin de ce billet, j'ai parlé de l'enquête que je mène à son sujet depuis que son portrait m'a subjuguée et des préludes à son histoire, dont ce billet-ci fait partie.
Mes investigations se poursuivent, mais les informations concernant cette dame sont tellement disséminées sur la toile que je peine à les rassembler pour tenter de reconstituer son histoire. Enfin, tout cela sera révélé ici dans quelque temps, c'est promis.

En attendant, voici le décor dans lequel la somptueuse Madame X
évoluera en arrivant en France.


Vue générale, prise du rond-point des Champs-Élysées
Paris et ses environs, 1858” album de lithographies (23 vues de l'album)


Ce décor, c'est le Paris du Second Empire avec...
 
Place de la Concorde, vue prise de la terrasse des Tuileries


...les salons (littéraires, artistiques ou tout simplement mondains) et...

Intérieur d'un salon rue de Gramont
Charles Giraud - 1858
(collection privée)


...tous les lieux de rencontre et de divertissement de la haute société, telle la traditionnelle promenade au bois de Boulogne, où il était de bon ton de se montrer, à pied, à cheval, ou en calèche.

Amazone au Bois de Boulogne
Alfred Dedreux
(d'autre amazones d'Alfred Dedreux à admirer sur cette page)


Autre décor pour les aventures de Madame X, Biarritz, transformé en station balnéaire à la mode par l'engouement de l'impératrice Eugénie pour ce petit village de pêcheurs qui avait l'avantage de la rapprocher de son Espagne natale.

Biarritz, les bains du Port Vieux
lithographie, troisième quart du XIXe siècle


Tout au long du Second Empire, de grandes réceptions furent données au Palais des Tuileries et au château de Versailles, ayant pour principal objectif de rehausser l'image de la France auprès des autres cours d'Europe. Une image que le règne pantouflard de Louis-Philippe avait rendue bien terne.


Dîner aux Tuileries
Eugène Viollet-le-Duc - huile sur toile
Musée Carnavalet


Cependant ces réceptions, si fastueuses soient-elles, ne suffisaient pas à développer le rayonnement de la France dans le monde. Aussi, suivant l'exemple de Londres et de New-York, en 1853 Napoléon III décréta que la France aurait également son Exposition Universelle en 1855.

C'est à l'occasion de cette exposition que la reine Victoria et le prince Albert effectuèrent leur première visite officielle en France.

Souper à Versailles en l'honneur de la reine d'Angleterre, le 25 août 1855
Eugène Lami - aquarelle
Musée national du château de Versailles


Avec la réception de la reine Victoria à Versailles, la première Exposition Universelle française fut une excellente répétition pour la véritable grande expo universelle du Second Empire, celle de 1867. Entre temps, il y eut une autre réception royale à Versailles.

En 1864, à l'occasion de l'inauguration de la première liaison ferroviaire franco-espagnole, Napoléon III invita le roi et la reine d'Espagne à Paris.

Le spectacle des grandes eaux, assorti d'un grandiose feu d'artifice (produit par Désiré-François Ruggieri) fut offert en leur honneur dans le parc du château, le 21 août 1864. Cet évènement resta longtemps dans les mémoires des spectateurs qui eurent la chance d'y assister, dont la belle Madame X faisait probablement partie.



Les Grandes Eaux illuminées au bassin de Neptune en l’honneur du Roi d'Espagne, le 21 août 1864
Eugène Lami - huile sur toile
Musée national du château de Versailles


En 1867, pour sa seconde Exposition universelle, la France n'accueillit pas moins d'une vingtaine de souverains étrangers dans la capitale.

Ces séjours impériaux et royaux achevèrent de prêter à la vie parisienne de cette période déjà si animée et si brillante, un éclat qu'elle n'avait jamais connu et qu'elle n'a jamais retrouvé depuis. Ce fut vraiment l'apothéose d'une capitale et d'un régime.
(Comte Fleury et Louis Sonolet, La société du Second Empire, Albin Michel)

Les Souverains venus à Paris pour l'Exposition de 1867
Charles Porion - 1895
Musée national du château de Compiègne (notice)

Ci-dessus, le tableau de Charles Porion présente (de gauche à droite) Léopold II de Belgique,  Guillaume Ier de Prusse, François Joseph 1er d'Autriche, Napoléon III, Alexandre II de Russie, Ismaïl Pacha vice-roi d'Égypte, Édouard VII prince de Galles.

Le soir du 10 juin il y eut une grande fête de nuit dans les salons et les jardins du palais des Tuileries, éclairés "a giorno" pour la circonstance.

La façade du palais flambait sous l'éclat de ses illuminations. Les rampes de gaz accusaient les bandeaux, corniches, chambranles et couronnements des fenêtres. Des lignes de lumière bordaient les allées du jardin. La vieille demeure des rois apparaissait transfigurée dans une grandiose apothéose de feu. Dans les massifs s'allumaient des feux de Bengale et toutes les branches d'arbres soutenaient des lanternes de couleur. 
(Comte Fleury et Louis Sonolet, La société du Second Empire, Albin Michel)

Fête de nuit aux Tuileries, le 10 juin 1867
Pierre Tetar van Elven - vers 1867
Musée Carnavalet


On avait établi dans la cour un escalier à double révolution qui montait jusqu'au balcon du pavillon de l'Horloge. Des hommes en uniforme, des femmes en crinoline recouverte de gaze ou de soie claire ne cessaient d'en monter et d'en descendre les degrés. Le nombre des invités ne dépassait pas six cents. Tous les salons leur étaient ouverts : la galerie de Diane, la salle du Trône, la salle des Maréchaux, la salle du Premier Consul, la galerie de la Paix et jusqu'aux boudoirs de l'appartement de l'Impératrice. 
(Comte Fleury et Louis Sonolet, La société du Second Empire, Albin Michel)

Fête de nuit aux Tuileries (détail)
© photo Tilia

Au premier plan du tableau, l'impératrice Eugénie s'avance au bras du tsar Alexandre II, tandis que derrière elle l'empereur converse avec le roi de Prusse Guillaume 1er. À gauche, l'homme vêtu à l'orientale est sans doute le sultan ottoman Abdülaziz, à moins qu'il ne s'agisse du vice-roi d'Égypte Ismaïl Pacha.

Toutes ces têtes couronnées se retrouvèrent attablées au palais pour le souper servi dans la salle de théâtre complétement transformée et merveilleusement décorée.

Fête officielle au palais des Tuileries pendant l'Exposition Universelle de 1867
Henri Baron - aquarelle
Musée national du château de Compiègne (lire la notice de la BNF)

Une estrade dressée au fond avait été réservées aux souverains et aux princes héritiers.


Une soirée aux Tuileries - Henri Baron (détail)

Les autres invités occupaient le parterre. Durant tout le repas, les chœurs de l'Opéra se firent entendre, masqués par des tentures et groupés derrière une fontaine jaillissant au milieu d'un odorant massif de fleurs.
(Comte Fleury et Louis Sonolet, La société du Second Empire, Albin Michel)


Une soirée aux Tuileries - Henri Baron (détail)


Pour clôturer ce billet consacré en partie à la "Fête Impériale", voici un morceau qui se trouvait au programme de la première partie du grand festival musical couronnant l'Exposition Universelle de 1867.

Il s'agit du Chant des Soldats du "Faust" de Gounod


"Gloire immortelle de nos aïeux"
Chœurs de l'Armée Française et du Capitole de Toulouse
Orchestre du Capitole de Toulouse, dirigé par Michel Plasson



Le prochain billet sera publié la veille d'Halloween
d'ici là portez-vous bien et à bientôt



©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012

samedi 13 octobre 2012

In memoriam

Ange
Abbott Handerson Thayer - 1887
Smithsonian American Art Museum, Washington


21 mars 2012 - 6 octobre 2012



In Paradisum
Gabriel Fauré - Requiem - Op. 48 VII
La Chapelle Royale, Philippe Herreweghe




Abbaye d'Ardenne


Merci pour vos échos
exceptionnellement je ne répondrai qu'aux commentaires envoyés par courriel
(l'adresse est dans mon profil)


 ©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012